Insuccès majeur dans toutes les salles de par le monde, à commencer par les Etats-Unis, le Nightmare Alley de Guillermo del Toro n’a même pas pour lui d’avoir été apprécié par beaucoup de ceux qui l’ont vu. J’avoue ne pas avoir bien compris pourquoi. On lui a pêle-mêle reproché sa longueur, sa mollesse, son caractère de néo-noir pas assez original, le jeu outré de ses acteurs. Pourtant, il me semble bien, au-delà du fait qu’il s’agit là de l’adaptation d’un roman et d’un remake – le premier film portant le même titre anglais (le même que celui du roman), également connu en français sous le titre Le Charlatan, date de 1947 – que l’on tient un très bon exemple de comment un cinéaste peut faire sienne la matière et faire œuvre personnelle tout en servant très bien le genre dans lequel il s’inscrit ; ce qu’il « ajoute » à la matière de départ n’est en outre pas si rebattu que cela, et il arrive très bien à greffer ces apports aux éléments les plus traditionnels.
Peut-être faut-il d’ailleurs rappeler que, pour aimé que soit le genre du film noir par les cinéphiles, les films en eux-mêmes n’ont pas tant que cela (au moins aux Etats-Unis) connu le succès public au fil des décennies, à part peut-être pour certaines relectures les plus remises au goût du jour, à la Basic Instinct mettons. D’ailleurs, le Nightmare Alley de 1947 avait connu un sort dans les salles américaines après-guerre aussi peu enviable que la nouvelle mouture de 2021 ! Il faut croire que le destin ne s’acharne pas que sur les protagonistes de film noir, mais aussi sur les films eux-mêmes… A mes yeux, la réussite de ce genre d’entreprise – je ne parle pas de ceux qui sciemment reprennent des éléments de film noir en les insérant dans d’autres genres, mais bien de films s’inscrivant a priori pleinement dans le genre – tient aujourd’hui toujours au fait que scénaristes et metteurs en scène atteignent le bon dosage entre les éléments génériques attendus (de récit, de caractérisation des personnages, de figures et motifs, de codes visuels, etc.) et la nécessaire régénération de ces éléments. Il me semble que c’est ici tout à fait le cas. Del Toro a comme souvent en pareil cas souhaité retourner à la source, en l’occurrence le roman de William Lindsay Gresham, plutôt que de n’avoir en ligne de mire que le film d’origine – qu’il avait vu et aimé, bien sûr, la lecture du roman lui ayant indiqué qu’il y avait là assez de matière pour un traitement substantiellement différent, sans même parler du fait qu’il existait à l’époque un code de censure dans le cinéma américain qui faisait que l’adaptation des romans noirs était forcément au moins un peu diluée**. Ce point de vue nouveau sur le roman lui permet d’accentuer un aspect qui était bien entendu déjà présent mais qu’il met en l'espèce particulièrement en exergue : le lien entre le contexte (le début de la 2ème Guerre mondiale dans un pays au préalable laminé par la Grande Dépression, qui est aussi la période où la psychanalyse commence à gagner franchement du terrain aux Etats-Unis) et le contraste entre les deux personnages se livrant à la lecture et à la manipulation des esprits, le « mentaliste » et l’analyste, aux visées divergentes. On a parfois dit, un peu vite me semble-t-il, que le film n’apportait rien, et pourtant il ne me semble pas que les relations entre ces deux figures-là et tout ce qu’elles représentent aient jamais eu autant de place dans un film d’une part, aient été traités tout à fait comme cela d’autre part. Bien sûr, le fait que cela vienne après une première partie dans une foire où sont exploitées toutes sortes de difformités humaines et pouvoirs exceptionnels, réels ou supposés, ne fait que renforcer une interrogation qui a toujours été au centre des préoccupations du cinéaste, un de ceux qui s’intéressent aux ‘freaks’, quels qu’ils soient et quelles que soient les raisons pour lesquelles ils le sont ou le sont devenus. Peut-être certains ont-ils été déçus parce qu’ils attendaient de Del Toro un imaginaire tout droit issu du Labyrinthe de Pan, mais on ne peut pas dire que le cinéaste de L’Echine du diable***, de Crimson Peak ou de La Forme de l'eau se soit fourvoyé en choisissant un tel sujet et un tel traitement : on est en plein dans la cible de tout ce qui lui tient à cœur (de l’état « naturellement » monstrueux au possible avilissement de l’homme, à son « devenir-monstre »), le traitement qu’il en livre n’étant, à mes yeux en tout cas comme on l’aura compris, pas du tout une redite de son propre cinéma ou une pure resucée de ce qui a pu être fait par d’autres que lui dans le genre auparavant. Il est cependant intéressant de constater que, de plus en plus nettement au fil du métrage, se dessine une proximité avec les relectures du genre par les frères Coen – ceci étant dû à plusieurs facteurs au-delà d’un traitement assez proche de certains motifs : monumentalité des décors comme dans certains opus des frères, proximité par endroits de la musique de Nathan Johnson avec celle de Carter Burwell, mais aussi bien sûr de certains types de personnages (le garde du corps et âme damnée, par exemple), sans oublier que des acteurs comme Richard Jenkins ont été vus chez les Coen.
Etant donné que je ne compte pas en dire plus sur le récit et qu’on aura déjà amplement compris que, si les avis sont partagés, je me range résolument du côté de ceux qui n’ont aucune réserve majeure à émettre sur ce film qui reste un des meilleurs exemples actuels de ce peut encore le cinéma américain s’il donne les moyens à un cinéaste capable de faire œuvre personnelle même dans un genre bien répertorié, il me reste à assurer que je trouve pour ma part pleinement mon compte aux prestations des interprètes. Si j’ai déjà pu apprécier Bradley Cooper dans certains de ses rôles, par exemple dans celui The Place Beyond the Pines de Derek Cianfrance, je n’ai jamais été convaincu à ce point par son jeu, que je trouve ici rien moins qu’exceptionnel (franchement je ne me serais jamais dit que je pourrais écrire ce mot à son sujet un jour). Je n’ai pour ma part aucun mal avec le jeu voyant de Cate Blanchett, mais je n’ai jamais eu de mal avec le jeu voyant de Cate Blanchett, alors… Rooney Mara me semble plus qu’adéquate pour son personnage, tout autant que les tous les acteurs sur lesquels l’on sait que l’on peut toujours compter (Richard Jenkins, donc, mais aussi Willem Dafoe, David Strathairn, Toni Collette…), tous absolument parfaits. Que l’on ajoute cela à des qualités de confection tout de même éminentes, et l’on comprendra pourquoi nous sommes tout de même quelques-uns à considérer cet échec public et (pour partie en tout cas) critique comme très injuste. Souhaitons à ce film le sort de plus d’un film noir, aujourd’hui tenus pour des classiques indémodables apportant un plaisir renouvelé à des spectateurs de toutes les générations.
*Le sens du mot ‘geek’ n’avait pas à l’époque du récit le sens qu’on donne à ce mot aujourd’hui. Le mot est répété à maintes reprises dans le film, ce qui est peu surprenant tant ce qu’il recouvre se trouve au cœur des préoccupations du cinéaste.
**Pour un article établissant une comparaison très intéressante entre les deux œuvres, voir l’article « Les deux charlatans » de Christian Viviani (Positif n°732, février 2022). Le Nightmare Alley d’Edmund Goulding se trouve dans une très bonne édition américaine Criterion, dvd ou blu-ray, ayant paru en 2021 (à réserver aux anglophones détenteurs d’un lecteur blu-ray dézoné, toutefois). Le dvd français se trouve sous le titre Le Charlatan.
***Carlotta a sorti fin 2021 une très bonne édition de L’Echine du diable, dans un de ses coffrets ultra collector avec un excellent livret mais aussi dans des éditions dvd et blu-ray séparées moins onéreuses, qui reprennent toutes le master restauré. Ce film, sans doute un de ses meilleurs opus, vaut d’autant plus qu’on se porte sur lui qu’on le voit enfin dans de très bonnes conditions en vidéo, avec ce qui ne gâte rien un très bon accompagnement éditorial.
EDITION BLU-RAY FRANCAISE 20th CENTURY FOX (2022) / BLU-RAY + 4K AMERICAINE 20th CENUTRY FOX (2022)
La Fox a reculé devant une édition 4K en France, effet évident des résultats médiocres dans les salles. Malgré des résultats tout aussi médiocres, les Etats-Unis ont quant à eux droit à une édition 4K. Ceux qui préféreraient ce format doivent savoir que l’édition américaine est toutes zones et qu’elle propose bien le français en audio et en sous-titres : pas d’autre obstacle que le prix élevé de l’édition américaine et/ou les frais de port, donc. Ceux qui cherchent un blu-ray ou un dvd le trouveront bien sûr en édition française.
Le blu-ray français est de très bonne qualité globale, image et son. Etant donné le nombre de scènes de nuit, il importait notamment que les noirs soient assez profonds et ils le sont. Heureusement que le master est de très bonne qualité car tout le reste est décevant. Les suppléments, totalement standard, n’ont pas la moitié de l’intérêt de ceux que l’on trouve généralement dans les éditions des films du cinéaste. Et, bien sûr, aucune édition ne propose la version noir et blanc, que j’ai pour ma part la chance d’avoir vue en salle et qui ne m’a pas du tout semblé un gadget et permet de voir le film un peu autrement. Il aurait évidemment fallu qu’au moins une des éditions ‘collector’, ‘ultimate’ que sais-je encore propose les deux versions en même temps, ainsi qu’un commentaire audio du cinéaste, qui sait très bien les faire. Espérons que Criterion reprendra un jour ce film en complétant son anthologie des films du cinéaste, cette fois-ci en proposant de véritables suppléments dignes de ce nom, et évidemment la version N&B en sus…
Comme pour ses films précédents, un bel album illustré (en anglais uniquement) est consacré aux coulisses de la confection de ce film : Guillermo del Toro’s Nightmare Alley – The Rise and Fall of Stanford Carlisle, de Gina McIntyre (Insight Editions, 2021).
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Nightmare Alley (4K)
Format: Blu-ray
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Product description
When charismatic but down-on-his-luck Stanton Carlisle (Bradley Cooper) endears himself to clairvoyant Zeena (Toni Collette) and her has-been mentalist husband Pete (David Strathairn) at a traveling carnival, he crafts a golden ticket to success, using this newly acquired knowledge to grift the wealthy elite of 1940s New York society. With the virtuous Molly (Rooney Mara) loyally by his side, Stanton plots to con a dangerous tycoon (Richard Jenkins) with the aid of a mysterious psychiatrist (Cate Blanchett) who might be his most formidable opponent yet. A film by Guillermo del Toro.
Product details
- Language : English
- Product dimensions : 20 x 15 x 2 cm; 70 Grams
- Media Format : 4K
- Run time : 140 minutes
- Release date : 9 March 2022
- Studio : ZHQ7H
- ASIN : B09SS3DW7T
- Best Sellers Rank: 1,553 in Movies & TV (See Top 100 in Movies & TV)
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4.2 out of 5 stars
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LD
5.0 out of 5 stars
Freaks & Geeks*
Reviewed in France on 15 June 2022Verified Purchase

Eric OD Green
5.0 out of 5 stars
Un film formidable qui n'a pas eu le succès qu'il méritait
Reviewed in France on 29 May 2022Verified Purchase
Tout d'abord quelques éléments techniques, ce film de Guillermo Del Toro est seulement disponible en Blu Ray ordinaire et non en version 4K, une telle version était annoncée lors des premières précommandes mais à rapidement disparues, car il semble que l'absence de succès au Box Office est tué dans l'œuf la version 4K ce que je déplore. Toutefois, nous sommes en présence d'un Blu Ray de très grande qualité avec des images magnifiques, contraste et définition parfaites servis par une superbe photographie. La bande son assure un très bon spectacle, même si j'ai du régler sur 55 mon ampli Denon, c'est un détail mais qui indique que la bande son française est en retrait par rapport à la bande son anglaise en DTS HDMA bien identifiée par mon ampli. Le film est assez long 2 heures 30 et ne correspond pas à ce que Hollywood attend pour le spectateur décérébré de 2022, car c'est un film d'une intelligence implacable qui montre l'ascension et la chute d'un odieux personnages Stanton Carlisle joué par un formidable Bradley Cooper qui débarque dans une fête foraine alors qu'il n'a plus aucun lieu ou aller. Dans cette fête foraine, Carlisle rencontre une voyante dont le mari est un ancien mentaliste de talent qui a sombré dans l'alcool mais qui a rédigé une sorte de manuel du parfait mentaliste qui permet de réaliser des numéros de haute volée. Finalement ayant réussi à acquérir le manuel d'une manière particulièrement ignominieuse Stanton Carlisle décide de quitter le monde des forains pour tenter un numéro de divination, et c'est vrai qu'il est très doué avec des nerfs d'acier et une capacité à rebondir étonnante. Il poursuit donc une carrière à New York en compagnie de la femme qu'il aime Molly (formidable Rooney Mara). Mais au lieu de se limiter à de très bon spectacle, il fait la connaissance, dans des conditions que je vous laisse découvrir d'une psychologue/psychanalyste vénéneuse en la personne de Cate Blanchett. C'est alors qu'il franchi la frontière qui a aussi été fatale à Simon Jane le sympathique mentaliste de la série éponyme et s'embarque dans une fort dangereuse carrière de faux médium... et plus dure sera la chute. c'est un vrai film avec du jeu d'acteur, Ron Perlman y fait un petit rôle et nous sommes loin des torture porn qui pourrissent littéralement les écrans depuis 15 ans. Bref que du bonheur, bonnes séances à tous et à toutes.

Thomas K.
1.0 out of 5 stars
Disney (Verleih+Vertrieb) Notkauf
Reviewed in Germany on 19 April 2022Verified Purchase
Ja, ich möchte den Film gerne in der bestmöglicher Bild- und Tonqualität sehen. Disney hingegen hat daran überhaupt kein interesse und bietet Filme in deutscher Sprache am liebsten nur noch in runterkomprimierter Qualität per Streaming an. Oder man soll sich noch dafür bedanken, dass ein Film auf Blu-ray (techn. Stand vor 16 Jahren) und nicht auf nur auf DVD (techn. Stand vor 25 Jahren) erscheint. Wo bleibt denn die UHD-Blu-ray (Einführung vor 6 Jahren und bis heute techn. kaum ausgereizt)?

Nile Rodgers
4.0 out of 5 stars
Einfach bildgewaltig
Reviewed in Germany on 18 April 2022Verified Purchase
Ein fantastischer Film mit tollen Schauspielern - nicht Darstellern - unglaublich tollen Kulissen und einer Bildgewalt, die typisch für Guillerme del Toro ist (siehe Pans Labyrinth). Den Stern Abzug gibt es für das plötzliche Ende und die teils etwas langatmigen Sequenzen zwischendrin. Aber, das muss ich auch ganz ehrlich sagen, der Film „hallt nach“…. Und es wird sicherlich ein paar Jahre dauern, bis ich ihn mir wieder anschauen werde…

wider die kunst
2.0 out of 5 stars
Mieses Steelbool!
Reviewed in Germany on 31 March 2022Verified Purchase
Der Film ist topp, das Steelbook eine Frechheit! Sieben Euro mehr für einen häßlichen Blechkasten ohne Inlay oder Booklet, keine Angaben zum Film auf der Rück- oder Innenseite, Das Cover der Standardversion sieht weit besser aus, es gibt auch Informationen zum Film. Auf der Bechbox ist NIXX, das Pappzettelchen, das die Box "ummantelt" ist ein unbrauchbarer "Schutz". Abzocke, wie sooft!